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Le 04/02/2005, nous vous informions : |
L'intégration scolaire de l'enfant handicapé, par Jean-Marc Louis
POINT DE VUE
| 02.02.05 | 14h48
Une intégration scolaire des enfants et adolescents en situation de handicap a plusieurs dimensions, d'où sa complexité. Elle est d'abord d'ordre politique dans la mesure où elle est une obligation que doit assumer l'Etat et qu'elle a un coût matériel et humain non négligeable qui ne peut se décliner qu'en terme d'investissement public et non de rentabilité. Elle a une composante juridique car elle donne des droits aux familles. Elle est aussi liée, dans sa réalisation, à une technique caractérisée par une organisation, un savoir-faire, une démarche. Elle est un acte professionnel qui se conçoit et se prépare, s'organise, s'évalue et fait l'objet d'un suivi. Enfin, et ce n'est pas le moindre, elle recouvre également le champ de l'éthique, positionnant tout un chacun face à la nécessité, et non plus la possibilité, d'accepter l'autre différent.
Cernons les difficultés qui découlent de cette réalité :
- Le décalage tout d'abord entre la parole politique, dût-elle s'inscrire dans une perspective à moyen ou long terme, le principe en lui-même consensuel et les moyens octroyés aux acteurs de terrain pour la mise en œuvre. Ce décalage est criant, en soi tragique trop souvent, car il génère des espoirs déçus, réactive des souffrances, d'où le climat d'incompréhension et passionnel qui, dans les écoles et les établissements, caractérise souvent la question de l'intégration scolaire.
- On ne conçoit pas de la même manière l'intégration scolaire selon que l'on est parent, enseignant, éducateur, médical... Et, s'il est nécessaire de garder les différents points de vue pour dépasser l'illusion intégrative, il est indispensable de s'entendre sur sa déclinaison dans la réalité quotidienne. Si la mission de l'école est de scolariser l'enfant ou l'adolescent en situation de handicap, c'est-à-dire l'accueillir et l'aider à devenir un élève en vivant comme les autres le métier d'écolier et ce sur un principe de droit, on ne peut rejeter, comme le revendiquent certaines associations de parents, la notion d'intégration scolaire, dans sa dimension pédagogique et éducative, qui reste le moyen de réaliser la scolarisation dès lors que le handicap ne permet pas à l'enfant ou à l'adolescent de répondre aux exigences de la vie collective et/ou de réaliser les apprentissages scolaires qui restent la mission de l'école.
- L'intégration scolaire doit dépasser la confusion égalité-équité sur laquelle trop souvent elle repose. L'égalité reste du registre des principes et du droit. L'équité se situe dans les faits. C'est permettre à l'élève en situation de handicap d'avoir les mêmes chances de réussite scolaire que les autres. Et cela passe, contrairement à ce que d'aucuns avancent et en opposition avec la conception égalitaire des pratiques de l'école, par l'obligation, d'une part, de ne pas nier les différences, mais de s'en servir pour construire l'acte d'intégration, et, d'autre part, de résister aux effets d'appauvrissement de l'enseignement scolaire donné aux élèves handicapés sous prétexte des restrictions de capacités générées par le handicap. Une fois le projet d'intégration défini qui adapte les objectifs scolaires aux capacités et aux potentiels, l'enfant ou l'adolescent en situation de handicap a droit à une pédagogie de qualité.
- L'intégration scolaire, comme toute autre, conduit à une suite de deuils : deuil de ce qui est en fait très souvent une acceptation réconfortante de l'autre, deuil de l'uniformité des pratiques pédagogiques, des réponses à la difficulté, deuil du cadre sécurisant lié aux structures, aux dispositifs scolaires, deuil des certitudes. Elle renvoie à la nécessité d'une perpétuelle adaptation à l'autre et au monde. Elle est par ailleurs un processus psychosocial où le corps, les capacités intellectuelles, l'imaginaire, l'affectivité, le psychologique se placent en première ligne dans les apprentissages scolaires. Tant chez les enseignants que chez les parents, chez l'élève concerné, il y a, dans toute intégration scolaire, un temps de désintégration lié à ces deuils, à des pertes de repères, à la nécessité, pour aller vers des vécus qui à l'origine apparaissent complexes, de passer par une phase d'abandon des formes premières de son vécu, de son statut, de sa fonction. Des mécanismes de défense peuvent alors apparaître. Dans la mesure où l'obstacle au changement tient plus à nos connaissances qu'à nos ignorances, on mesure l'importance de la formation des personnels enseignants, notamment dans le domaine de la communication, tant dans l'intégration le climat émotionnel doit être géré pour parvenir à ces moments de fluidité psychique et mentale qui sont seuls propices au remodelage des conduites des uns et des autres.
Cela ne peut se faire que par une approche systémique, par l'existence d'une interdépendance effective des personnes appartenant au groupe porteur de l'intégration scolaire. Or, bien trop souvent, l'école est seule, victime de la carence des dispositifs d'accompagnement médico-éducatifs, seule notamment à devoir gérer le déni des parents, leur souffrance. C'est notamment le cas à l'école maternelle, où un processus inconscient d'assimilation aux autres enfants freine le travail de deuil de l'enfant valide.
- Il y a nécessité de partager le principe que tout enfant en situation de handicap ne peut être intégré en milieu ordinaire. Une circulaire réaliste précisait en son temps que l'élève "doit être capable, d'une part, d'assumer les contraintes et exigences minimales qu'implique la vie scolaire, et, d'autre part, d'avoir acquis ou être en voie d'acquérir une capacité de communication et de relation aux autres compatible avec les enseignements scolaires et les situations de vie et d'éducation collective". Sa teneur a été balayée par un esprit irresponsable d'intégration à tout va et par le militantisme bien compréhensible des familles. Tout comme entre difficilement dans les esprits l'idée qu'une intégration peut avoir ses limites au-delà desquelles elle devient excluante. Dès lors que l'enfant ou l'adolescent n'est plus en mesure de tirer profit des objectifs de l'école ni de répondre à ses exigences malgré son projet individualisé, dès lors que les aides n'arrivent plus à compenser les désavantages liés à son handicap qui alors le mettent en grande difficulté, voire en souffrance. Cette souffrance vient de la fatigue due aux efforts devenus trop grands pour vivre le métier d'élève et ses exigences. Mais aussi quand la scolarité accentue chez l'enfant ou l'adolescent la prise de conscience de sa "différence". Dans les deux cas de figure existent alors d'autres formes d'intégration scolaire. Dans des dispositifs comme les classes d'intégration scolaire, où, là, c'est une pédagogie spécialisée qui est mise en œuvre en même temps que des services d'accompagnement peuvent apporter des réponses aux besoins éducatifs ou de santé de l'élève. A partir des établissements spécialisés où des enseignements scolaires peuvent être dispensés dans le cadre d'une prise en charge globale.
S'il lui faut dépasser ces difficultés, l'école, pour assumer sa mission d'intégration scolaire, se doit par ailleurs de passer d'une politique de scolarité intégrée qui s'assimile encore par trop à une mesure d'insertion en ce qu'elle entend, en son sein, permettre à l'élève en situation de handicap, s'il fait preuve de capacités d'adaptation, de vivre une scolarité particulière, à une politique scolaire à visée intégrative qui entend lui permettre de connaître une scolarité semblable à celle de ses condisciples.
Cela passe certes par une modification ou une évolution des mentalités, par une formation des personnels, des appuis matériels et humains mais aussi par l'ouverture à une culture nouvelle que ne facilitent pas les traces encore présentes ici ou là dans l'institution des finalités historiques de l'école, essentiellement sélectives et normalisatrices.
Jean-Marc Louis, est inspecteur de l'Education nationale, conseiller technique pour les questions d'adaptation et d'intégration scolaires.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.02.05
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